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Ljana Podratzky

Bribes

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Rideau

L’acteur entre en scène, monopolise l’attention. Il s’enferme tous les soirs dans le cercle d’or laissant dans l’obscurité la vie et ses ombres. Le sourire fait partie des accessoires. Il laisse entrevoir son profil, celui avantageux des années sveltes, des années heureuses, des années de jeunesse. Dans cette pièce il n’y a pas d’autres personnages, uniquement des rôles secondaires. Le moi se dilate dans le cône de lumière. Son souffle porte les particules de poussière jusqu’en haut, vers le faux ciel peint de la salle. Les spectateurs, en particulier les dames assises aux premiers rangs, voudraient capter son attention. Son regard se porte sur elles un instant lorsque brusquement la salle s’illumine, puis fuit ces insectes brûlés par les feux de la rampe. Les sourires, les applaudissements roulent, se couchent, brèves vagues de vanité, à ses pieds. Seules nourritures de son existence.

Tous les soirs elle indique les places réservées, dirige les personnes élégantes vers les fauteuils d’orchestre, les autres vers des coins plus sombres. Elle est ouvreuse. Elle connaît maintenant par cœur l’intrigue, le dénouement. Collée au chambranle de la porte battante, certains soirs assise sur une chaise au fond de la salle, elle parcourt l’espace du regard essayant de capter au-delà du texte l’étincelle originelle, le vrai moment d’émotion. Elle reste parfois jusqu’à la fin, jusqu'après le départ des chasseurs d’autographes. Dans la salle, maintenant vide, elle se met à dessiner sur le rideau de velours des rais de lumière avec la lampe de poche qui lui sert pour les retardataires. Elle trace des chemins, des voies, des arcs entre deux plis, entre deux creux de tissu parallèles. L’œil de cyclope de la petite lanterne fait miroiter des échanges de regards entre des dames timides baissant la tête lors de la révérence et des chevaliers solitaires. Elle n’a pas besoin d’applaudissements. C’est un jeu sans public, un jeu solitaire.

 

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Doña Flor

La grande rue était inondée de soleil, les troquets presque vides, le bordel temporairement fermé, c’était le jour où les hommes avaient décidé d’affronter la bête. Le vacarme montait de l’arène. Assieds-toi là, ma Dulcinée, que je te voie, au moins une fois, en pleine lumière. D’habitude, elles fixaient toutes la cape de feu, la ceinture du matador. Aujourd’hui, elles étaient plus dispersées : Angelita aux boucles blondes, débordant de ses dentelles, Marisol à l’éventail rose et Concepción à l’ourlet défait. Derrière le portique en bois, Ramses devenait impatient, piaffait, appelait les mouches avec le balancement de sa queue. Les élues s’attardaient sur son dos, visaient la tête, lui faisaient des gâteries entre les cornes.

Doña Flor monta enfin les marches inclinées. Les regards des hommes l’évitaient, comme empreints d’une culpabilité collective. Assises dans la partie opposée de l’enceinte, les filles ci-dessus nommées cachaient un rire hystérique dans leurs mouchoirs brodés. Doña Flor avait, comme d’habitude, huit minutes de retard. Le spectacle, maintenant, pouvait commencer, le taureau pouvait être lâché dans l’arène.

Sous le soleil au zénith, sa peau avait un reflet métallique. Il était échaudé, il connaissait le plaisir que l’on pouvait prendre en piétinant sous ses sabots le corps d’un homme. Dans les yeux de la dame en noir, assise à la place d’honneur, on décelait un flamboiement étrange, émis par un alliage qu’on devinait très dur. Les filles chahutaient. Tu te souviens, Angelita, comment le vaillant matador a volé, tel un bout de chiffon, à travers les airs ? Tais-toi Conception, tes paroles sont fruit de péché, après une nuit torride passée dans ton lit, c’était prévisible.

Ramses s’arrêta brusquement, aveuglé par un rayon de soleil, surpris peut-être par une nouvelle odeur venant de la ville basse, par le reflet d’une larme dans l’œil de la veuve trônant dans la tribune principale. Une mouche se posa entre ses omoplates, puis poursuivit sa trajectoire habituelle, banale. À la fin du combat, c’est à cet endroit que pénétra la précise, l’implacable, lame mortelle.

- Carlos, Carlos, criait la foule, un moment en délire.

Le matador, sans un sourire, s’inclina et donna à un acolyte un billet pour la dame en noir, immobile comme une relique dans son tabernacle. Il avait griffonné pour elle, d’une écriture malhabile, quelques mots à la va-vite. Si j’avais été un homme pour de vrai, je t’aurais aimé, mon extatique madone, toi qui tisses nuit après nuit, sur le pas de ta porte, la même dentelle noire. Mais moi, modeste combattant, je ne peux t’offrir que l’oreille de ce taureau en dédommagement de tes peines.

En partant, le matador avait salué la foule, enlevé son chapeau. La mouche avait continué à voltiger quelques instants au-dessus des travées, avait visé le voile, puis, sur les quelques cheveux blancs de Doña Flor, avait décidé de rendre l’âme.

 

SENEGAL

Le lapin en chocolat

Comme tu peux le constater, même l’ordinateur va mieux. La connexion est à nouveau rétablie. Pas mal pour un dimanche de Pâques.

Je n’avais pas espéré un tel dénouement.

La journée avait plutôt mal commencé. J’avais acheté pour les enfants un lapin en chocolat. Je l’avais trouvé un peu particulier. Il ne ressemblait pas aux autres lapins exposés sur l’étagère. Avec son oreille levée vers le ciel, il essayait de capter, me semblait-il, le moindre bruit venant de l’éther. Rien de spécial, a priori. Ce qui était particulier, c’était son regard. Quand il nous fixait de son œil inquiet, il ressemblait à un perroquet. C’était notre lapin métaphysique.

Nous l’avons installé sur le buffet dans un joli nid de paille avec des petits œufs dorés autour. Ensuite, nous sommes partis nous promener, en oubliant de baisser les stores.

Ici nous avons eu une journée printanière. Le ciel s’est éclairci et, l’après-midi, le soleil a régné en maître.

En rentrant, je n’ai pu que constater les dégâts. Le destin a confirmé ses craintes. La moitié de la devanture en chocolat, exposée à la chaleur, s’était transformée en un magma liquide.

J’ai eu d’énormes remords. Tout cela était de ma faute. J’aurais dû y penser, j’aurais dû anticiper le changement, prendre des mesures préventives. Est-ce qu’il n’y avait vraiment plus rien à faire?

Avec la lame d’un couteau, j’ai gratté les traces de cacao et avec les doigts j’ai enlevé les gouttes qui avaient taché l’assiette. Je peux te dire qu’elles étaient délicieuses. Ensuite, j’ai tourné le moulage la face intacte vers nous et le profil décomposé vers le mur. Vu sous cet angle, le lapin paraissait presque aussi beau qu’auparavant. J’ai remis délicatement la paille et les œufs autour de lui. Il était redevenu, je t’assure, un animal plein de prestance. Le papier doré brillait, sur les lèvres j’avais encore le goût sucré. Qu’est-ce que je vais me mettre la semaine prochaine ?

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