Jana ne se souvenait plus de grand-chose : d’une
Jana ne se souvenait plus de grand-chose : d’une chambre blanche et de mots indistincts prononcés dans le couloir, du bureau d’un médecin et, derrière lui, d’un tableau avec l’image d’un fleuve longeant maisons et collines. Elle croit avoir murmuré :
« Gallia, Pannonia, Dalmatia, Thracia, Moesia, Dacia »
Le médecin l’avait prié de lui donner des détails concernant son passé, son enfance, de ne plus regarder le parcours du Danube.
Vous savez, quand les poupées étaient malades, on les emmenait voir le docteur. Les poupées de mon enfance étaient des poupées en chiffon. Leurs coutures étaient souvent défaites. Elles étaient remplies de boules de laine ou de paille. Leur tête était vide, une simple surface en carton peint. À cause d’une manipulation trop brutale, il arrivait parfois qu’une partie du décor s’écaille et qu’il ne reste de ce visage qu’une bouche à moitié rouge et, sur le front, l’amorce d’une boucle.
Avec les amies, réunies en conseil, nous examinions alors le patient attentivement. Nous attrapions la poupée par les mains, en essayant de la faire tenir debout. Elle était ensuite allongée sur le côté droit, puis sur le côté gauche. Le simple déchirement d’une couture ne posait pas de problème. C’était enfantin. Avec une aiguille, nos mères pouvaient raccommoder le tissu rose et suivre à la trace les anciens points de suture. La cicatrice demeurait visible, mais parallèle à la ligne initiale, et l’accident perdait son caractère dramatique.
Les choses étaient différentes lorsque la déchirure était irrégulière, lorsqu’elle n’avait plus un aspect rectiligne. Les bords étaient alors provisoirement fixés avec une épingle à nourrice et l’on apposait sur la plaie un énorme pansement. On auscultait ensuite la poupée avec un stéthoscope, on la faisait tousser, on prenait sa température. Si son état paraissait inquiétant, on administrait, in fine, le remède majeur : une injection avec une seringue en plastique, privée - pour des raisons de sécurité bien évidemment - d’aiguille. Ceci constituait l’apogée. Après cette expérience inoubliable, la petite assemblée décidait, en général, de passer à quelque chose de plus gai, à un autre jeu, à une autre façon de se distraire.
« Karl, le guérisseur n’existait pas. Sur la boîte en carton, on avait marqué avec de grandes lettres rouges Puppendoktor. Le jeu ne comprenait toutefois qu’une trousse avec des pansements et quelques outils en miniature. »