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Ljana Podratzky

21 avril 2015

La mouche dans l'encrier

La mouche dans l'encrier
« Tiens, il y a une mouche dans l’encrier. C’est malheureux, même en hiver, de voir les mouches dans les encriers. Quel manque d’ordre ! » Jaroslav HASEK - « Le brave soldat Chvéïk » Un amour de jeunesse qui resurgit peut-il s’avérer mortel pour les deux...
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18 avril 2015

Jana ne se souvenait plus de grand-chose : d’une

m-auto_portrait_au_chien

Jana ne se souvenait plus de grand-chose : d’une chambre blanche et de mots indistincts prononcés dans le couloir, du bureau d’un médecin et, derrière lui, d’un tableau avec l’image d’un fleuve longeant maisons et collines. Elle croit avoir murmuré :

« Gallia, Pannonia, Dalmatia, Thracia, Moesia, Dacia »

Le médecin l’avait prié de lui donner des détails concernant son passé, son enfance, de ne plus regarder le parcours du Danube.

Vous savez, quand les poupées étaient malades, on les emmenait voir le docteur. Les poupées de mon enfance étaient des poupées en chiffon. Leurs coutures étaient souvent défaites. Elles étaient remplies de boules de laine ou de paille. Leur tête était vide, une simple surface en carton peint. À cause d’une manipulation trop brutale, il arrivait parfois qu’une partie du décor s’écaille et qu’il ne reste de ce visage qu’une bouche à moitié rouge et, sur le front, l’amorce d’une boucle.

Avec les amies, réunies en conseil, nous examinions alors le patient attentivement. Nous attrapions la poupée par les mains, en essayant de la faire tenir debout. Elle était ensuite allongée sur le côté droit, puis sur le côté gauche. Le simple déchirement d’une couture ne posait pas de problème. C’était enfantin. Avec une aiguille, nos mères pouvaient raccommoder le tissu rose et suivre à la trace les anciens points de suture. La cicatrice demeurait visible, mais parallèle à la ligne initiale, et l’accident perdait son caractère dramatique.

Les choses étaient différentes lorsque la déchirure était irrégulière, lorsqu’elle n’avait plus un aspect rectiligne. Les bords étaient alors provisoirement fixés avec une épingle à nourrice et l’on apposait sur la plaie un énorme pansement. On auscultait ensuite la poupée avec un stéthoscope, on la faisait tousser, on prenait sa température. Si son état paraissait inquiétant, on administrait, in fine, le remède majeur : une injection avec une seringue en plastique, privée - pour des raisons de sécurité bien évidemment - d’aiguille. Ceci constituait l’apogée. Après cette expérience inoubliable, la petite assemblée décidait, en général, de passer à quelque chose de plus gai, à un autre jeu, à une autre façon de se distraire.

« Karl, le guérisseur n’existait pas. Sur la boîte en carton, on avait marqué avec de grandes lettres rouges Puppendoktor. Le jeu ne comprenait toutefois qu’une trousse avec des pansements et quelques outils en miniature. »

17 avril 2015

La chaleur faisait petit à petit son effet. En

insomnio

La chaleur faisait petit à petit son effet. En fermant les yeux, je me mis à rêver aux rotations des mouettes, à me perdre parmi les jolies volutes griffonnées par Jana dans un vieux cahier à spirale.

Si je devais choisir un lieu, ce serait un lit à baldaquin caché au milieu d’un jardin, avec des pousses de lierre montant sur les délicates colonnes.

Un objet ? L’éventail qui chasse les perles de sueur et lisse les rides sur ton front.

Une route à prendre ? Certainement celle qui passe par la mer. Rhodes. Notre entrée dans le port se fera à l’abri des colonnes surplombées par des cerfs, un soir au coucher du soleil.

Un palais ? Cnossos. Je te dévoilerai mes seins insolents.  Pressés, nous monterons les marches. Cachée dans la chambre de la reine, je ne voudrai qu’une chose : sentir le souffle du taureau dans le creux de ma nuque. Tu dérouleras le fil d’Ariane en faisant mille détours, en prenant des chemins de traverse. Nous remonterons à la surface juste pour prendre un bol d’air comme ces dauphins que tu  vois là, dessinés sur le mur. 

Un parfum ? Celui de l’herbe fraîchement coupée, des oliviers de couleur violette. Celui des feuilles parmi lesquelles nous nous serions cachés la nuit, à travers lesquelles nous aurions regardé le premier rayon de soleil, à l’aube.

Un bruit ? Celui d’une fontaine qui lave la poussière des jours, celui des mots susurrés à l’oreille. Celui des gouttes qui perlent, celles de vin au coin de mes lèvres, les tiennes au plus profond de mes entrailles.

Un goût ? Le goût de sel de tes pores cueillit ici à la surface, ou celui d’un liquide plus amer, ramené de là-bas, de très loin, par la vague syncopée de ton désir.

Karl fut contrarié par ces mots visiblement inspirés par un mâle d’essence terrestre. Il se mit à vociférer :

- On arrête, j’en ai marre, ramasse tout ce bazar : le parasol, la bave d’escargot  et les écorces d’orange. Plie avec soin, en quatre, les montagnes qui se trouvent en arrière-plan et tous ces champs de lavande. Prends sous le bras l’olivier, efface avec une gomme la table en teck. Ça y est, c’est décidé, je prends congé. À partir d’aujourd’hui, je branche le répondeur et je laisse notre imagination aussi se mettre au vert.

16 avril 2015

- « Elle l’a aimé. Elle aurait pu l’aimer encore

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- « Elle l’a aimé. Elle aurait pu l’aimer encore », m’a répondu l’écho lorsque, tout en haut du rocher, j’ai crié ma colère dans le vide.

- Grete, tu es une sentimentale incorrigible.

Le mercure était descendu brutalement. Montant des abords de la ville, le vent s’était mis à souffler et imprimait aux fenêtres ouvertes un balancement aléatoire qui les cognait avec un bruit sourd contre les murs.

Les magasins étaient envahis par une marée humaine. Après notre séance d’achats, je présentai Grete à Silvio et à ses copains lors de la rencontre rituelle, programmée comme d’habitude à chaque retour de vacances. À cause du mauvais temps, il était hors de question de rester en terrasse. Nous trouvâmes donc refuge à l’intérieur où, sur les tables, les petites appliques coiffées d’abat-jour aux couleurs chatoyantes étaient déjà allumées.

- Ces nuages lourds et cette humidité ambiante pourraient faire croire qu’on se trouve déjà au mois de novembre, remarqua un convive.

Grete regarda le ciel, brusquement assombri. L’atmosphère lui sembla propice à l’évocation de certaines coutumes. Elle se remémora ses notes et décrivit la nuit qui précède, en terre d’orthodoxie, la fête de la Saint André.

- C’est une nuit habitée par des esprits, par des messagers de l’ombre qu’on dit capables d’éclaircir tous les mystères. Le chargé de cérémonie, après avoir prononcé une série d’incantations, arrive à obtenir des confidences, à déchiffrer des secrets jusqu’alors enfouis, juste en contemplant la surface d’un récipient rempli d’eau claire.

- Grete, scrutées par le Ministère de l’Intérieur, certaines choses peuvent, soudain, paraître transparentes.

Grete enchaîna, en ignorant ma remarque.

- On raconte même, dans les villages, que cette nuit est peuplée de revenants, que les femmes perdent la tête et tombent amoureuses d’êtres qui ne sont qu’à moitié des hommes et tiennent le reste du loup.

- Chérie, ce ne sont ici que des croyances populaires. Ceux qui les écoutent se transforment certainement en morts vivants et quittent rapidement ce monde.

Karl affichait un large sourire lorsqu’il prononça ces mots, mais ses lèvres avaient une teinte violacée. Nos amis - habitués à l’écume légère qu’il leur servait habituellement et avides d’entendre des petites histoires piquantes extraites de ses aventures réelles ou imaginaires - le regardèrent avec une certaine inquiétude. Ils avaient raison. Dans son regard, on pouvait desceller l’ombre d’un crayon pointu. Dans sa bouche, on pouvait deviner le claquement d’une langue prête à croquer les quelques brebis qui sautillaient encore sur la prairie verte d’un canevas imaginaire.

Je ne sais pas à quel moment il commença à écrire, probablement dans le courant de la nuit. Nous le retrouvâmes, le matin, endormi sur le canapé. La couverture avait glissé par terre. Sa tête gisait sur l’oreiller.

« Viens, rapproche-toi sur la pointe des pieds. »

Myriam réveilla l’ordinateur du bout de son petit doigt, et, ensemble, nous lûmes la page que la machine voulut bien nous dévoiler.

La jeune princesse a été enchaînée au rocher. L’histoire ne nomme pas l’auteur de ce crime. Il ne peut certainement pas être imputé au dragon qui a élu domicile dans le lac situé dans les parages. Ses pattes - qui sont celles d’un palmipède - n’auraient jamais permis un travail d’une telle précision. Les langues de feu qu’il envoie périodiquement à l’assaut des fortifications de la cité toute proche indiquent, cependant, qu’on a affaire - dans le domaine qui lui est spécifique - à un personnage d’un extrême professionnalisme.

Nous nous trouvons quelque part aux confins d’un grand empire, au début d’une époque que les historiens qualifient de moyenâgeuse.

La princesse, habillée d’une robe verte, rêve à l’instant où on lui rendra la liberté, où l’on brisera ses chaînes. Ses poignets lui font mal, et ses lèvres desséchées sont sillonnées de crevasses.

Les scribes notent sur leurs tablettes :

« La princesse invoque la miséricorde divine, confiante dans le triomphe final du bien éternel. »

Saint Georges se trouve encore à une certaine distance de la scène que nous venons de décrire. Affublé de la panoplie du parfait chevalier, il reste visible même depuis des contrées dites lointaines. Le casque, le plastron et la lance, tous ses accessoires brillent quand ils se trouvent exposés au soleil. Le cheval avance lentement, gêné par le poids supplémentaire de la charge guerrière.

Sur le visage des habitants de la ville, qui viennent à sa rencontre, on peut lire un grand désespoir. Saint Georges écoute attentivement l’histoire du monstre qui sème la terreur.

Tous les efforts déployés pour faire cesser ses funestes agissements ont échoué. Les armées ont été vaincues, et le souffle de feu du dragon a continué à dévaster les palais et les lieux de promenade.

« Nous lui avons d’abord sacrifié les brebis blanches, puis les noires qui - cela restera entre nous – n’ont pas semblé le satisfaire. Maintenant, nous avons choisi, par tirage au sort, de lui donner en pâture une jeune demoiselle, la fille unique, la seule enfant du roi qui règne sur ces terres. »

Saint Georges n’hésita pas une seule seconde. Sans descendre de son cheval, sans laisser une minute de répit à sa monture, il se dirigea vers ce lac qui allait le rendre célèbre.

Nous ne connaissons la suite des événements qu’à travers les écrits des chroniqueurs. Certains disent que Saint Georges a fait pénétrer sa lance dans le cœur du dragon et que celui-ci a été ensuite décapité dans la cour de l’église.

- D’autres susurrent que la princesse, une fois débarrassée de ses menottes, a réussi à dompter l’animal et même à le promener, tenu en laisse, le long des échoppes de la rue principale.

Myriam salua ce dénouement en tapant dans ses mains. Je rajoutai :

- Cet improbable rapprochement pourrait évoluer vers une passion torride. L’attirance qu’ils ressentiront l’un pour l’autre sera quasi animale. Malgré des tares exposées publiquement, la princesse continuera à vibrer lorsqu’elle verra, dans l’eau du lac, le reflet du dragon, d’un vert intense.

- De la même couleur que sa robe, bien sûr, compléta Myriam.

Karl se réveilla et nous regarda d’un air étonné. Tel un enfant pris en flagrant délit, il eut d’abord le réflexe de se glisser sous la couverture. Ensuite, en nous entendant rigoler, il sortit la tête de cette cachette et grommela :

- Y a-t-il quelqu’un qui, dans cette maison, aurait songé à préparer le café ? Vous savez bien que, le matin, cet accélérateur nerveux m’est indispensable.

Myriam, derrière mon dos, lui tira, je crois, la langue.

Un journal était posé par terre. Je le ramassai et je survolai l’article étalé en première page.

- Mes enfants, je constate que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Le dragon a changé de couleur et ne pense plus qu’à ce carburant qui fait tourner la machine. Après avoir pompé toutes les ressources du lac, il a recouvert son squelette dialectique des écailles rouges du matérialisme.

Les joues de Karl rosirent.

- Toi ma petite fille, si tu n’es pas gentille, je te donnerai à manger aux chiens, peut-être même aux crocodiles. Quant à la dame à tes côtés, j’éparpillerai, pour me venger, ses faiblesses à tous vents. Elle pourra les retrouver, ainsi exposées, sur les bandes déroulantes des dépêches de presse, entre les lignes des journaux et des magazines et, bien entendu, dans le regard courroucé d’une foule d’internautes anonymes.

15 avril 2015

- Ma chérie, je suis content d’entendre ta voix.

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- Ma chérie, je suis content d’entendre ta voix. Dis-moi, mon cadeau a-t-il aussi recueilli tes suffrages ? 

Karl m’avait acheté un châle léger. C’était, comme disait Grete, un bout de tissu imprégné d’une âme, un de ces rectangles brodés que les filles utilisaient là-bas, à la campagne, pour recouvrir pudiquement leur chevelure.

- Karl, j’ai prévu de l’accrocher au mur. Chaque matin, je pourrai ainsi me ressourcer en regardant comment aux rayures plus foncées succèdent invariablement des rayures de couleur beaucoup plus claire.

- Je perçois dernièrement chez mes femmes une poussée d’optimisme.

- C’est vrai pour Grete, pour Myriam et pour Rita aussi, cette douce vagabonde qui baigne dans ses hormones. Un quartier favorable de lune ne devra pas tarder à influencer les autres. Et toi, cher pendant masculin ? On ne t’entend plus beaucoup ces derniers temps. Mes doigts parcourent en vain le désert pour trouver le point de chute de l’avion, l’empreinte du Petit Prince. Mais non, rien, tu ne contemples plus aussi souvent que par le passé mon globe.

- Je cherche encore le logiciel qui éclairera toutes ces étendues de sable, qui fera en sorte que nos matières grises se transforment en une substance molle aussi pénétrable que n’importe quel autre programme.

- Comment avance ton projet ?

- Je suis en train de rédiger le cahier des charges. Quand tu frapperas sur ce clavier, tes pensées se dévoileront, se propageront comme des feus follets sur un terrain asséché, envahi de broussailles. Leur dispersion sera galopante. Au carrefour stellaire des âmes perdues, elles ne pourront que se retrouver dans les bras des miennes.

- Le ciel t’aurait-il déjà ouvert ses portes ?

- Pas encore. « Continue », me dit le message de la barre d’outils téléchargeable. L’extase est là, à portée de la main, à portée d’un clic sur une touche en plastique de couleur blanche.

- Karl, certaines brindilles ne souhaitent peut-être pas chevaucher les ondes pour conquérir l’espace intra-planétaire ni être observées à travers les trous d’une boîte.

- Ma chérie, « Les femmes doivent se dépouiller de leurs riches atours. À midi, elles doivent se dévêtir. »

- Karl, ai-je murmuré avec un léger sourire, je pense que tes idées farfelues risquent de dénaturer notre mission de scribouillards. L’essence de l’être humain, la souffrance, les sentiments, ne peuvent pas être aspirés, redistribués, donnés comme de simples brins d’herbe en pâture aux brebis, même pas à des brebis virtuelles.

Karl se rebiffa :

- Sornettes.

- Autre chose, mon chéri. Il y a - parmi tes fleurs - certainement aussi des roses à épines, pas seulement de vulgaires plantes à rempoter. Celles-ci, il faut les cultiver pour de vrai et pas seulement les presser dans l’herbier de tes livres.

Karl ignora mes paroles :

- Liebste, regarde les coins encore vierges du ciel se débarrasser à tes pieds de leurs voiles. Enlève, toi aussi, la cloche en verre, plonge dans une mer de résonances. Profite de tous les talents qui s’y cachent. Prends une aspirine, laisse-toi faire. Entame le dialogue avec tes mondes pairs. Oublie les négriers qui nous fouettent et nous jettent quelques sous. Participe avec tes semblables au jeu infini de l’écriture, à la cabale libératrice, à la révolte des esclaves.

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